domingo, 19 de noviembre de 2017

Câble sous-marin THT du Golfe de Gascogne: le rapport critique de la CRE (2016) annulé par le Préfet Carenco

Dans un rapport détaillé et argumenté de juin 2016, la Commission de Régulation de l'Energie (CRE) émettait de vives critiques sur les projets d'interconnexion électriques et gazières avec l'Espagne dont le câble sous-marin en très haute tension (THT) du Golfe de Gascogne. Ces critiques de ce méga-projet d'au moins 1.750 M€ en soulignent les points faibles (sans besoins réels, sans visibilité de sa faisabilité technique ni de son coût-efficacité) et sont reprises dans cet article "Energie: l'afflux de projets d'interconnexion inquiète le régulateur" des Echos*:
  1. "Le régulateur juge que la France est aujourd'hui «bien interconnectée avec ses voisins », et que l'utilisation de ces lignes et tuyaux « est désormais largement optimisée». Dans ce contexte, il entend veiller «à éviter que les consommateurs de gaz et d'électricité ne soient exposés à des coûts considérables pour construire des infrastructures dont l'utilité pour la construction du marché européen et la sécurité d'approvisionnement n'aurait pas été démontrée»".
  2. "Le projet Golfe de Gascogne est «totalement prématuré»: après la mise en service d'une interconnexion côté pyrénéen l'an dernier, ce projet vise, côté Atlantique, à faire passer des câbles sous-marins entre la France et l'Espagne pour accroître les échanges à hauteur de 2.200 mégawatts (l'équivalent de deux réacteurs nucléaires) à l'horizon 2023, pour un coût aujourd'hui évalué entre 1,6 et 2 milliards d'euros. Un projet très complexe, car il devra passer par une fosse sous-marine. «Il n'y a aucune visibilité de la faisabilité technique de l'opération, et il y a un emballement de la Commission européenne, avant même d'avoir un rapport coût-efficacité du projet»", critiquait Philippe de Ladoucette (Président de la CRE en 2016). Capacité actuelle d’interconnexion sous-utilisée: Auparavant, la CRE dans sa Délibération du 26 novembre 2015** soulignait une sous-utilisation de la capacité actuelle d’interconnexion électrique: «Toutefois, en 2014, les capacités offertes n’ont été en moyenne que de 1 040 MW de la France vers l’Espagne et de 860 MW de l’Espagne vers la France, alors que la capacité maximale à réseau complet est de 1.400 MW dans la direction France vers Espagne et 1.000 MW dans la direction Espagne vers France. La capacité offerte au marché a donc été nettement inférieure à la capacité maximale théorique des interconnexions». En 2015, les exportations françaises vers l’Espagne ont bondi de +56% pour atteindre 9.300 GWh, soit, en divisant par les 8.760h de l'année, en moyenne une capacité utilisée de seulement 1.060 MW pour 2.400 MW disponibles dans le sens France vers l’Espagne, laissant apparaître une surcapacité d’un facteur 2,3. En 2016, ces exportations d'EdF ont encore augmenté (+30%) à 12.100 GWh soit une capacité utilisée de 1.380 MW pour 2.500 MW disponibles soit une surcapacité d’un facteur 1,8. La CRE confirme cette situation de surcapacité dans son rapport détaillé de juin 2016***: "La capacité de Baixas-Santa Llogaia n'est pas encore à son maximum technique": «La capacité commerciale constatée, de la mise en service de cette ligne jusqu’à fin 2015, n’a cependant été en moyenne que de 2.000 MW à l’export et de 1.800 MW à l’import. Au cours des quatre premiers mois de 2016, la capacité commerciale moyenne constatée est passée à 2.400 MW à l’export et 2.000 MW à l’import. La capacité commerciale ne pourra atteindre son objectif de 2.800 MW en moyenne qu’après la réalisation de travaux de renforcements du réseau interne espagnol».
Depuis l'été 2017, la capacité totale d’interconnexion est passée à 3.700 MW du fait de la mise à niveau de la sous-station d’Arkale (Gipuzkoa) avec +460 MW (et pour seulement 20 M€!), augmentant ainsi la capacité des 2 lignes THT terrestres de la côte basque de 2.550 MW à plus de 3.000 MW. Aussi, ce projet dans le Golfe de Gascogne viendrait ajouter à grand frais de nouvelles surcapacités et en plus du côté Atlantique qui représente déjà plus de 80% de la capacité totale transfrontalière.
A la rentrée 2017, sous la pression combinée de la Commission européenne-CE (bien embarrassée par ces critiques de fond- "un emballement de la CE" et réserves de la CRE) et du gouvernement Macron (ouvertement favorable à ce projet mais sans justifications techniques ou économiques), Jean-François Carenco, le nouveau Président de la CRE (l'ex-préfet d'Ile-de-France et énarque) nommé en février 2017 par François Hollande, a négocié avec le régulateur espagnol. Et en septembre 2017, contre toute attente, la CRE a abandonné ses principales critiques et réserves de son rapport de juin 2016, en prenant 2 décisions outrageusement favorables au projet en particulier sur son financement- http://www.cre.fr/documents/deliberations/(theme)/interconnexion:
  1. Budget global du projet de 1.750 M€
  2. Budget prévisionnel à la charge de RTE avant la subvention de la Commission européenne: 875 M€ (50% du total)
  3. Demande de 350 M€ de subvention européenne (soit 50%) attribuée à RTE
  4. TOTAL = 525 M€ (la contribution de RTE ou cout total sans dépasser 528 M€)
  5. Tout dépassement supplémentaire des coûts au-delà de ce montant sera supporté à 62,5 % par REE et 37,5 % par RTE".
De fait, cette scandaleuse reprise en main par le Préfet Carenco piétine d'abord le rapport de juin 2016 de la même CRE et offre un cadeau sans contrepartie de 350 M€ de subventions (soit 50% du cout du projet Golfe de Gascogne) à RTE alors que la France a déjà plus de 10% d'interconnexion et 2 lignes THT terrestres de 2550 MW sur la côte basque déjà sous-utilisées (d'un facteur 1,8) et en outre récemment augmentées (sous-station d’Arkale en Gipuzkoa: + 460 MW).
En s'alignant sur le pouvoir politique, le Préfet Carenco renie aussi l'indépendance de la CRE, une fois de plus remise en cause tout comme la propre expertise et crédibilité de l'agence qu'il préside. De même, la CRE renonce à son mandat de protection des consommateurs qui en principe est «d'éviter que les consommateurs de gaz et d'électricité ne soient exposés à des coûts considérables pour construire des infrastructures dont l'utilité pour la construction du marché européen et la sécurité d'approvisionnement n'aurait pas été démontrée»*.
Or de plus, les recettes d'interconnexion France-Espagne restent faibles (75 M€ en 2015) dont seulement 5.6 M€ pour Inelfe (la société jointe entre RTE et son équivalent espagnol) en 2016-https://www.societe.com/societe/inelfe-509270070.html. Cette somme correspond à la ligne THT Baixas-Bescanó en Catalogne (capacité de 1.400 MW et cout d'investissement de 730 M€) et à partager avec REE... soit à peine 2.6 M€ de recettes pour RTE. Comment alors RTE pourrait amortir un jour ce méga-investissement de 528 M€ + cout annuel d'opération et maintenance élevé avec si peu de recettes annuelles (règle de 3 pour le câble Golfe de Gascogne: estimées à 3.7 M€)?! Apparemment, ce n'est pas le problème de la CRE ni de RTE mais de ses actionnaires (les contribuables via EdF-50,1% et la Caisse des Dépôts et Consignations-49,9%) et de tous les clients qui devront éponger le financement puis les pertes d'exploitation de ce nouvel «éléphant blanc».

*Energie: l'afflux de projets d'interconnexion inquiète le régulateur (Les Echos, 15 juin 2016)- https://www.lesechos.fr/15/06/2016/lesechos.fr/0211028300361_energie---l-afflux-de-projets-d-interconnexion-inquiete-le-regulateur.htm#F5pfqLHqPcdGt1P0.99
**Délibération de la CRE du 26 novembre 2015 portant avis sur les règles de répartition des capacités sur la frontière France-Espagne à la suite de la mise en service d’une nouvelle interconnexion entre les deux payshttp://www.cre.fr/documents/deliberations/avis/interconnexion-electrique-france-espagne
***Rapport CRE: les enjeux économiques des interconnexions (15/06/2016)- http://www.cre.fr/documents/presse/communiques-de-presse/la-cre-les-enjeux-economiques-des-interconnexions
Voir aussi le graphique "Capacité moyenne constatée en 2015 France - Espagne" annexé au rapport (p. 97).




Voir aussi:

Le Réseau de Soutien Mutuel en Réponse aux Mégaprojets Energétiques

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